CleanTech : le solaire hors réseau fait ses preuves en Afrique et ouvre des opportunités

Par : Muriel EDJO

Date de création : mercredi, 03 décembre 2025 07:14

Date de modification : 03 décembre 2025 07:18

Favorisée par l’absence d’infrastructures électriques adéquates, l’Afrique devient le terrain de jeu des innovations les plus agiles. L’adoption de solutions solaires transforme actuellement des millions de vies. Mais cette mutation reste fragile, au regard de diverses contraintes qui persistent.

L’Afrique demeure l’épicentre de la pauvreté énergétique mondiale. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), sur les 730 millions de personnes qui n’avaient toujours pas accès à l’électricité dans le monde, la grande majorité se trouvait en Afrique subsaharienne. Le groupe de la Banque africaine de développement (BAD) évoque plus de 600 millions d’Africains, soit environ la moitié de la population du continent. « Pour ces personnes, la vie quotidienne est un combat éclairé par la faible lueur des lampes à pétrole ou le ronronnement intermittent des groupes électrogènes au diesel. Ces solutions palliatives sont non seulement coûteuses, mais aussi polluantes, perpétuant un cycle de pauvreté et de dégradation de l’environnement. Au rythme actuel de l’électrification et avec la croissance démographique rapide de l’Afrique, le nombre de personnes privées d’électricité restera largement inchangé si nous ne prenons pas des mesures audacieuses et immédiates », déplore la BAD. Compte tenu des enjeux de productivité, d’éducation et de santé sur le continent, l’électrification décentralisée par le solaire est devenue plus stratégique que jamais, d’après l’AIE.

Bien que le Groupe de la Banque mondiale et la Banque africaine de développement se soient associés pour favoriser l’accès de 300 millions de personnes à l’électricité en Afrique d’ici 2030 dans le cadre de l’initiative « Mission 300 », la Banque mondiale reconnaît que l’énergie solaire hors réseau est le moyen le plus rapide et le plus rentable d’alimenter 41 % des personnes dans le monde vivant sans accès à l’énergie d’ici 2030. Cette solution a desservi 561 millions de personnes en 2023 et assuré 55 % des nouveaux raccordements en Afrique subsaharienne entre 2020 et 2022. Par rapport au raccordement au réseau ou au mini-réseau, le solaire hors réseau est une solution moins coûteuse, qui peut être mise en œuvre plus rapidement pour répondre aux niveaux de demande actuels, soutient la Banque mondiale.

Le solaire transforme des vies

Aujourd’hui, face aux défis que rencontrent les réseaux électriques nationaux (faible couverture, capacités limitées, vétusté des équipements, cherté des tarifs), les solutions solaires hors réseau créent une valeur économique mesurable. Dans son rapport « Off-Grid Solar Market Trends Report 2024 », la Banque mondiale estime que les générateurs fournissent près de 9 % de l’électricité en Afrique subsaharienne, ce qui coûte aux ménages entre 28 et 50 milliards de dollars par an en carburant, auxquels s’ajoutent 10 à 20 % supplémentaires en frais d’entretien. Les kits et appareils solaires réduisent les coûts énergétiques des ménages, prolongent les heures d’activité des commerces, sécurisent la chaîne du froid et augmentent les revenus des petites entreprises. L’électricité change la vie : elle offre de la lumière pour étudier, de la ventilation et de la réfrigération pour la santé et l’alimentation, l’information via la radio ou la télévision éducative, et une sécurité accrue la nuit. Les pompes solaires renforcent la résilience face aux sécheresses et soutiennent la productivité agricole, tandis que la réfrigération réduit les pertes post-récolte et permet une meilleure conservation des vaccins et médicaments dans les centres de santé. Le Programme d’aide à la gestion du secteur énergétique (ESMAP) indique que ses analyses montrent que ces « usages productifs » se diffusent rapidement dans les chaînes de valeur locales (agroalimentaire, artisanat, services).

« Les systèmes solaires hors réseau permettent aux ménages, aux entreprises et aux agriculteurs d’utiliser l’électricité de manière productive et de générer des revenus. Dans une enquête menée auprès de plus de 79 000 clients hors réseau dans 31 pays, 86 % des utilisateurs de pompes à eau solaires ont vu leur productivité augmenter et 60 % ont étendu leurs surfaces cultivées, ce qui a entraîné une augmentation des revenus pour 88 % d’entre eux. De même, 88 % des réfrigérateurs ont été utilisés à des fins productives, 81 % des utilisateurs déclarant une amélioration de leur qualité de vie. En 2023, plus de 3 millions de personnes utilisaient leur système solaire domestique pour gérer une entreprise », explique l’ESMAP. Le modèle de financement Pay-as-you-go (PAYGo), ou paiement à l’usage, a fortement contribué à l’expansion du secteur de l’énergie solaire hors réseau (OGS), notamment en Afrique subsaharienne. Le client verse un acompte initial, entre en possession de l’équipement solaire, puis continue à verser des paiements réguliers sur une période donnée jusqu’au solde total. Les paiements sont généralement effectués via Mobile Money (argent mobile), un canal largement disponible en Afrique subsaharienne, bien que d’autres méthodes incluent les cartes à gratter, du crédit de communication et le paiement en espèces.

Au cœur de cette nouvelle manière d’apporter de l’électricité à un prix abordable à des millions d’Africains, on trouve une diversité d’acteurs de terrain qui ont vu le potentiel transformateur du solaire en Afrique et se mobilisent.

Un secteur privé engagé

Entre 2018 et 2024, les start-up spécialisées dans le solaire hors réseau se sont renforcées en Afrique, consolidant l’accès du continent à l’électricité. Bien que le financement capté par ces entreprises soit passé de 194 millions de dollars à 192 millions de dollars en 2024, après avoir atteint 425 millions de dollars en 2023, le dynamisme du secteur ne s’est toutefois pas émoussé. Sun King fait partie des nombreuses start-up qui s’illustrent en Afrique au cours des dernières années. La société, qui revendique la fourniture d’énergie solaire à 30 % des ménages kenyans grâce à ses produits, a signé en juillet 2024 un accord de titrisation de 156 millions de dollars avec ABSA, Citi, The Co-operative Bank of Kenya, KCB Bank et Stanbic Bank Kenya. Cet accord s’ajoute à celui de 130 millions de dollars effectué en 2023 pour permettre la fourniture de 3,7 millions de produits solaires au Kenya. De son côté, Bboxx s’est consolidé au fil des cinq dernières années. En acquérant PEG en 2022, la société a étendu son empreinte en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Mali. Sa présence dans une dizaine de pays lui permet de fournir ses produits solaires à plus de 2,5 millions de personnes.

Même le groupe télécoms Orange a fait de l’énergie solaire hors réseau une priorité stratégique. Il faut dire qu’en favorisant l’accès à l’énergie, la société soutient aussi l’accès à ses offres Internet mobile et Mobile Money. À travers Orange Energies, l’opérateur revendiquait plus de 600 000 foyers connectés en 2024, soit près de 4 millions de personnes avec accès à l’énergie dans 13 pays. Avec un positionnement de partenaire de tous les producteurs d’énergie, Orange Energies a développé une plateforme IoT, Orange Smart Energies, qui permet le PAYGo et le smart metering. Ainsi, Orange peut collaborer avec l’ensemble des producteurs d’énergie, qu’ils soient vendeurs de kits solaires, opérateurs nationaux d’électricité (utilities) ou constructeurs de mini-réseaux. En ajoutant la brique digitale, Orange Energies offre la possibilité à tous les ménages de prépayer leur énergie à leur rythme, en fonction de leurs revenus. En collaboration avec ses partenaires comme Koolboks, Biolite, Sun King, Solar Run, Orange Energies propose une diversité de produits tels que des panneaux solaires, des batteries intelligentes pour stocker l’électricité et optimiser la consommation, des lampes LED, des prises USB et des accessoires adaptés aux besoins des ménages ruraux, avec un catalogue de matériels variés allant du ventilateur au congélateur, en passant par la télévision et la radio.

L’expertise d’Orange Energies dans l’électrification solaire va plus loin et lui a valu la reconnaissance d’organisations internationales et locales. En juin 2024, la société a remporté un appel d’offres de l’AFD de 150 000 euros pour accélérer l’électrification rurale de plus de 400 localités en Côte d’Ivoire, dans le cadre du projet MAX, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France. En septembre 2024, la Banque mondiale et la GIZ lui ont confié un contrat de 360 000 dollars pour équiper 8000 foyers hors réseau en solutions solaires autonomes au plus tard en juin 2025, dans des zones prioritaires identifiées par la Banque mondiale au Liberia. Orange Energies a également signé un partenariat public-privé avec l’État guinéen (Agence Guinéenne d’Électrification Rurale – AGER) et le développeur de mini-réseaux IPT PowerTech pour la construction d’un mini-réseau ABC qui va alimenter six localités en électricité : Kalenko, Siguiri, Yèndè Milimou, Nongoa, Ouendé Kènèma et Fangamandou, avec un modèle de prépaiement connecté pour les clients.

En clair : le solaire hors réseau en Afrique n’est plus une expérimentation. C’est un secteur industriel, financier et social, qui électrifie, crée des revenus et redessine le quotidien. Pour que cette promesse dure, plusieurs défis doivent être traités de front.

Des risques persistent toutefois

Le marché seul ne suffira pas à électrifier l’Afrique rurale. Pour atteindre les ménages les plus pauvres et les zones les plus difficiles, il faut de l’argent public — subventions directes, garanties, financements concessionnels. Les estimations du secteur indiquent qu’il faudrait environ 3,6 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour électrifier, via le solaire hors réseau, les centaines de millions de personnes pour lesquelles c’est la solution la moins coûteuse. Environ 40 % de cette somme devrait être sous forme de subventions ciblées, pour abaisser le prix final dans les zones les plus reculées et les contextes fragiles et touchés par les conflits. Il reste à mobiliser ces fonds.

Le modèle de paiement progressif (PAYGo), bien qu’il permette d’étaler le coût d’un kit solaire, se heurte de plein fouet à l’extrême pauvreté. Seule une minorité de ménages ruraux est en mesure de supporter une mensualité, même modeste. La facture s’alourdit dans les zones reculées ou en proie aux conflits, où les surcoûts logistiques peuvent augmenter le prix final de 57 %. Ainsi, seulement 22 % des ménages non raccordés à l’électricité dans le monde peuvent assumer le remboursement mensuel d’un kit solaire via PAYGo — un taux qui chute à 16 % en Afrique subsaharienne. Confrontés à cette barrière financière, de nombreux foyers se rabattent encore sur des solutions de court terme (bougies, lampes à pétrole, groupes électrogènes partagés), dont le coût à long terme s’avère pourtant plus élevé.

Cette précarité des ménages affecte directement la santé financière des entreprises et met en péril leur pérennité. Le taux de recouvrement des paiements PAYGo stagne autour de 62 %, et un client sur quatre rencontre des difficultés de paiement. Par ailleurs, la plupart des start-up solaires s’endettent en devises étrangères (dollars ou euros) mais sont remboursées en monnaie locale, ce qui les expose à un risque de change important.

À ces défis s’ajoutent l’inflation et l’effondrement de certaines monnaies locales, qui entraînent des hausses de prix. Au Nigeria, par exemple, le coût de lanternes solaires de base a augmenté de 91 % à 300 % en monnaie locale en 2023, annulant les baisses de prix des composants sur les marchés internationaux.

Enfin, la dépendance aux importations et l’absence de filière locale posent un défi structurel. Sans assemblage local, sans réseau de maintenance fiable et sans accès à des pièces détachées abordables, les systèmes tombent fréquemment en panne, et les foyers se retrouvent de nouveau privés d’électricité. La prolifération de produits solaires bas de gamme — représentant près de 70 % des ventes — sape la confiance des consommateurs. Le manque de compétences techniques pour l’installation, la maintenance et le dépannage, en particulier dans les zones isolées, complète cette liste d’obstacles qui entrave le déploiement massif des solutions solaires hors réseau.

Muriel EDJO

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