Bien que leur nombre soit encore très réduit, elles multiplient les initiatives fortes pour se fédérer et briser les barrières qui les ont retenus jusqu’à présent. Formation, réseautage, financement sont au cœur de la stratégie panafricaine d’éveil en cours de déploiement avec le soutien de divers partenaires.
Dans son rapport « 2021 AFRICA TECH VENTURE CAPITAL », Partech révèle qu’un total de 134 start-up fondées par des femmes enregistrées en 2021 a effectué un tour de table contre 47 opérations financières comptabilisées en 2020, soit une croissance de +285%. Les start-up fondées par des femmes ont réalisé 20% des 681 tours de table enregistrés l’année dernière, en croissance de 7% comparé à 2020 (13%). Elles ont obtenu 834 millions $, en croissance de +281% par rapport à 2020. Ce montant représente 16% du total des 5,2 milliards $ d’investissement levés en 2021 par des start-up, en hausse de 2% par rapport à 2020 (14%).
Pourcentage de fonds levés et de tours de tables effectués par des tech entrepreneurs africaines (Source : Partech)
Bien que ces données montrent une progression dans le volume d’investissements captés par les tech entrepreneurs africaines d’une année à une autre, Briter Bridges déplore tout de même un niveau très faible au cours des neuf dernières années.
Beaucoup reste à faire
Dans son rapport « In Search Of Equity Exploring Africa’s Gender Gap in Startup Finance » publié en octobre 2021, Briter Bridges indique qu'entre janvier 2013 et mai 2021, un total de 1 112 start-up opérant à travers l'Afrique ont mobilisé un total de 1,7 milliard $ de financements de démarrage. Parmi ces entreprises, 75% avaient des équipes exclusivement masculines, 9% des équipes exclusivement féminines et 14% des équipes fondatrices mixtes. « Seulement 3% des financements de démarrage sont allés à des équipes fondatrices entièrement féminines, contre 76% pour les équipes entièrement masculines », souligne la société de recherche axée sur les données, basée à Londres et fondée en 2018. Selon elle, cela signifie que pour chaque « dollar investi dans des équipes fondatrices entièrement féminines, les équipes entièrement masculines ont reçu 25 $ ».
Volume d’investissement levé par genre de fondateur (Source : Briter Bridges)
Sur la faible présence des tech entrepreneurs africaines dans le captage de l’investissement, Partech et Briter Bridges s’accordent à dire qu’elle s’explique en partie par la faible présence des femmes dans les segments porteurs comme la Finance, la logistique, le transport. Elles préfèrent en majorité les secteurs du commerce de détail et des services, qui nécessitent moins de capitaux et présentent moins d'obstacles à l'entrée. De plus, les tech entrepreneurs masculins, d’abord plus nombreux, sont également plus susceptibles d'opérer dans des sous-secteurs qui attirent moins d'investissements tels que l'edtech ou la healthtech, accentuant la concurrence.
La représentation du genre dans les différents secteurs tech (Source : Briter Bridges)
Il y a aussi le tempérament des investisseurs. « Même lorsqu'elles travaillent dans des secteurs suscitant un grand intérêt de la part des investisseurs, les équipes entièrement féminines sont toujours moins susceptibles de recevoir un financement que les équipes entièrement masculines, et elles reçoivent des montants plus faibles lorsqu'elles obtiennent un financement », note Briter Bridges. Enfin, plusieurs autres types d’obstacles entravent encore une plus grande présence des femmes dans la tech industrie africaine, notamment la faible présence des jeunes filles dans les filières scientifiques (STEM) ; un réseau d’affaires plus faible, essentiellement composé de femmes. Mais des initiatives se multiplient pour aider les tech innovatrices à surmonter ces barrières.
Formation et financements ciblés
Au cours des dix dernières années, le soutien aux Africaines dans le numérique a gagné en intérêt. La transformation numérique s’accélérant au fil des ans, les formations dans les compétences numériques à leur endroit se sont multipliées. De nombreux partenaires internationaux et locaux comme la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD), la Banque africaine de développement (BAD) ou encore la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (UNECA), la Fondation Bill et Melinda Gates, Google, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) s’y sont impliqués. De son côté, depuis 2015, Orange a investi dans des maisons digitales dans ses 16 marchés d’Afrique pour former les femmes aux compétences numériques, en plus des programmes dédiés que le groupe soutient déjà. Des pôles de financement ciblés ont également déjà été lancés par divers acteurs, notamment Alitheia Capital, fonds de capital-investissement de 100 millions de dollars, cofondé par Tokunboh Ishmael et Polo Leteka Radebe. Il y a FirstCheck Africa, collectif d'investisseurs et fonds d'investissement dirigés par des femmes et axés sur les femmes, cofondé par Eloho Omame et Emmanuel Bocquet. Il y a aussi WeFundWomen, communauté d'investissement intelligente fondée par Hope Ditlhakanyane pour les start-up en Afrique en les connectant à des capitaux démocratisés. Akazi Capital de Liebe Jeannot, est un fonds d'impact « crowdfunding », qui investit jusqu'à 250 000 $ dans des entreprises en phase de démarrage détenues et dirigées par des femmes en Afrique subsaharienne.
Muriel Edjo
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L'entreprise Tolbi, qui a développé une solution numérique dans le but d’aider les agriculteurs sénégalais à mieux rentabiliser leurs récoltes, a été lancée en 2019. Aujourd’hui, elle a déjà à son actif plusieurs reconnaissances et récompenses aussi bien nationales qu’internationales.
Tolbi, start-up sénégalaise spécialisée dans les technologies agricoles, a annoncé le vendredi 4 mars sa sélection dans le cadre du programme Google For Startups Advisor : Sustainable Development Goals (2022). Ce programme a été conçu dans le but de donner aux start-up technologiques les moyens de créer et d’évoluer en entreprises viables à impact sur un ou plusieurs objectifs de développement durable des Nations unies (ODD).
Nous sommes très heureux de vous annoncer que Tolbi a été sélectionné dans le cadre du programme Google For Startups Advisor : Sustainable Development Goals (2022). #ClimateSmartAgriculture #smartAgriculture #agriculture #digital @LamineKebe0 @GoogleforS @SunuPresseESP pic.twitter.com/uMqvGvV8AM
— TOLBI (@tolbico_sn) March 4, 2022
« Le programme cible les start-up qui résolvent les grands défis du monde avec agilité, technologie innovante et détermination. Notre mission est simple : permettre aux agriculteurs d’augmenter leurs productions et leurs revenus à travers une agriculture intelligente face au climat basée sur la technologie », a indiqué la start-up sur ses réseaux sociaux.
Le programme d’accélération va se dérouler sur une durée de 3 à 5 mois au cours desquels la start-up, tout comme plusieurs autres sélectionnées, va bénéficier d’une formation spécialisée, d’un mentorat sur les partenariats ODD, la mesure de l’impact social, le leadership et la collecte de fonds. Un parcours lui permettra au final d’établir des relations d’affaires solides sur lesquelles s’appuyer pour réussir une éventuelle levée de fonds.
Tolbi a déjà révolutionné le secteur agricole sénégalais en développant un kit d’objets connectés basé sur l’intelligence artificielle et l’edge computing pour faciliter l’irrigation des champs et améliorer le rendement agricole. Ces prouesses lui ont valu, entre autres, le Grand Prix du président de la République pour l’innovation numérique en 2020.
Adoni Conrad Quenum
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Grâce aux données satellitaires, les éleveurs peuvent mieux faire face à la raréfaction des ressources alimentaires et en eau pour les troupeaux. C’est une bouée de sauvetage pour de nombreuses familles agropastorales soumises aux changements climatiques dans la zone sahélienne.
Le projet STAMP (Sustainable Technology Adaptation for Mali Pastoralists) est une réponse digitale aux problèmes de pâturage que rencontrent de plus en plus les populations pastorales dans la région de Gao au Mali. Les activités industrielles et agricoles, la surpopulation humaine et animale, ainsi que le changement climatique ont réduit les ressources pour leur bétail. Les éleveurs qui se déplacent en fonction des saisons à la recherche de l’herbe fraîche et des points d'eau pour leurs troupeaux n’ont plus comme par le passé la certitude d’en trouver. Grâce au service STAMP ils peuvent éviter de longs voyages inutiles.
STAMP met à leur disposition des informations géo-satellites sur la disponibilité et la qualité de la biomasse pour l’alimentation de leur cheptel, la disponibilité en eau de surface pour son abreuvement, et aussi sur la concentration des animaux autour de ces ressources. STAMP fournit également des informations sur le prix du bétail et des céréales, et des conseils en santé animale et sur des produits financiers adaptés aux éleveurs. Il leur suffit d’un appel vers un centre géré par Orange Mali ou d’une requête faite via un menu USSD sur de simples téléphones mobiles pour obtenir instantanément des données importantes pour leur déplacement.
STAMP est le fruit d’un partenariat public-privé impliquant le ministère malien de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, Orange-Mali, l'organisation d’éleveurs « Tassaght », le prestataire de service international spécialiste en télédétection HSS des Pays-Bas et l’Organisation internationale de développement des Pays-Bas (SNV). Il a été lancé en 2017, année au cours de laquelle le service a remporté le 1er Prix Orange de l’entrepreneur social Mali.
Le 17 décembre 2020, au cours d’une conférence de presse à Bamako, Thomas Sommerhalter, le gestionnaire du projet STAMP expliquait que les « enquêtes auprès des producteurs ont révélé que la fiabilité et le besoin d’avoir des informations à temps opportun sont la clef pour la prise de décision par les pasteurs ».
A travers deux autres services introduits par la suite, STAMP aide aussi déjà les cultivateurs à obtenir des informations sur la météo, les modes de plantation, les graines, le temps des semis, les engrais, etc. Le chef de division responsabilité sociale de l’entreprise à Orange Mali, Abdoul Malick Diallo, avait déclaré : « les conseillers parlent les langues vernaculaires et peuvent se comprendre avec la plupart des cultivateurs qui leur parlent le peul, le dogon, le songhaï, le bamanankan ». Ce sont des agronomes.
Ruben Tchounyabe
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L’Agritech en Afrique semble encore timide au regard du volume modeste de financement qu’elle suscite. 2,3 % des 5,2 milliards $ de financement mobilisés par les start-up sur le continent en 2021 selon Partech. Le segment enregistre tout de même de belles réussites au fil des années.
FreshSource Global, plateforme B2B pour les produits agroalimentaires, reliant les exploitations agricoles aux entreprises en Egypte et fournissant des solutions de dernier kilomètre, a annoncé le lundi 28 février l’obtention d’un financement de démarrage de Wamda Capital, 4DX Ventures et d’investisseurs providentiels. La somme qui n’a pas été dévoilée, mais qui est estimée à « sept chiffres » en dollars par la start-up, est destinée à soutenir sa croissance.
« Nous prévoyons d'utiliser ces fonds pour agrandir notre équipe et investir davantage dans notre technologie. En outre, nous allons couvrir tous les gouvernorats égyptiens d'ici à la fin de 2023. En 2024, nous commencerons à envisager un plan d'expansion mondiale », a indiqué Farah Emara, co-fondatrice et présidente-directrice général de FreshSource. Elle a souligné que le financement contribuera à « accélérer notre mission de création de systèmes alimentaires frais plus durables grâce aux données et à la technologie, afin de transformer la vie des producteurs, des entreprises et des consommateurs et d'améliorer la planète ».
FreshSource joue le rôle d’intermédiaire entre les producteurs agricoles et les commerces tels que les supermarchés. L’entreprise fondée en 2018 et lancée en 2019 s’appuie sur une plateforme numérique à travers laquelle elle centralise l’offre des agriculteurs et la demande des commerces. Elle veille à ce que les besoins des clients soient satisfaits en réduisant le nombre d'intermédiaires par lesquels les produits agricoles transitent. Elle veille également à la sécurité des produits agricoles notamment en matière de conservation et de transport jusqu’à l’acheteur.
En 2020, FreshSource revendiquait déjà 300 agriculteurs locaux comme utilisateurs de son service, 1 500 emplois créés et aussi avoir évité une perte de 200 tonnes d’aliments. Selon, Farah Emara, « en réduisant les pertes alimentaires, vous réduisez le coût des aliments frais et vous permettez à un segment de la population qui ne pouvait pas se le permettre auparavant d’avoir un mode de vie plus sain. Aussi, en ce qui concerne les producteurs, cette méthode augmente leurs revenus et améliore ainsi leur qualité de vie ».
Adoni Conrad Quenum
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« Pour ma part, j’ai été choquée de voir l’inorganisation qui existait, du planteur jusqu’à la coopérative. Alors que, quand on sort de la coopérative pour aller vers l’exportateur, tout est vraiment bien organisé… ». Sur ce constat, Armelle Koffi a entrepris, avec succès, d’informatiser le travail des planteurs et de leurs coopératives.
L’entrepreneur social s’engage pour le développement d’une agriculture africaine appuyée sur les nouvelles technologies. « On peut utiliser des robots ou des tracteurs connectés, ou bien des capteurs qui permettent un contrôle à distance » est-il venu expliquer à la cheffe du gouvernement togolais Victoire Tomégah-Dogbé, la semaine passée.
Né à Kaolak, au Sénégal, au sein d’une famille modeste de 28 enfants, Thione Niang se décrit à la fois comme un « stratège politique, entrepreneur social, auteur, leader communautaire, conférencier international et consultant ». Arrivé aux Etats-Unis en 2000 avec seulement 20 $ en poche, il est aujourd’hui à la tête de six organisations internationales dont Akon Lighting Africa, un projet d’électrification de l’Afrique, ou encore JeufZone Farms, qui veut répondre aux besoins alimentaires de l’Afrique. Grâce à son travail acharné, il a réussi à devenir une célébrité internationale et une source d’inspiration pour la jeune génération africaine.
Sa carrière professionnelle aux Etats-Unis, Thione Niang l’a débutée par des petits métiers. Après quelques mois dans le Bronx à New York, où il travaille dans un restaurant, il déménage à Cleveland où il rejoint le monde politique et travaille dès 2005 comme volontaire pour la campagne municipale du conseiller local démocrate Kevin Conwell. Il devient ensuite directeur adjoint de la campagne du candidat à la mairie Frank Jackson. Bien plus tard, il est directeur de campagne de la députée noire Shirley Smith qui veut devenir Sénatrice. C’est elle qui lui présente le sénateur Barack Obama en 2006, à Columbus.
Deux ans plus tard, Thione Niang devient l’organisateur communautaire pour le Président Barack Obama lors des élections présidentielles de 2008. Il est ensuite nommé co-président national de « gen44 », la 44e initiative de collecte de fonds des jeunes américains, pour la campagne de réélection de 2012 du président.
Panafricain dans l’âme, il a décidé de revenir dans son pays natal en 2014 pour y développer des projets à impact à l’instar de JeufZone Farms qu’il a fondé en 2015. Son objectif, répondre aux besoins agricoles de l'Afrique en développant ce secteur par le biais des nouvelles technologies.
“Réponse de Thione Niang à un expert hollandais qui lui demandait son plan de développement pour l’Afrique sur 3 ans” #Afrique pic.twitter.com/Tm1pQSvuRg
— Ndaya Kankolongo (@lisapongeC) January 30, 2022
JeufZone Farms est spécialisé dans la production, la commercialisation, la conservation et la distribution de produits agricoles. Sur une surface de 75 hectares, les jeunes qu’il encadre pratiquent des activités agricoles, contre 50 % de leurs bénéfices. La structure approvisionne ses propres restaurants au Sénégal, et dispose d’un site Internet pour la livraison. Elle fournit également les outils, formations et les expériences nécessaires aux jeunes qui souhaitent se lancer dans ce secteur.
« Ce n’est pas un travail de pauvre dans des villages sans eau ni électricité qu’il faut absolument quitter pour trouver un job de gardien à Dakar. L’agriculture est noble, elle compte parce qu’elle est la base de notre indépendance économique. C’est elle qui nourrit le pays », affirme-t-il.
Son projet mené avec succès, celui dont l’action rayonne désormais dans de nombreux pays africains et au-delà, a déjà formé plus de 200 jeunes. Pour l’année 2022, le quadragénaire envisage de conquérir le marché togolais, où il entend développer l’agriculture et intervenir dans plusieurs autres domaines. Il a échangé à cet effet jeudi 3 février avec le Premier ministre togolais Victoire Tomégah-Dogbé. « La spécificité, c’est que l’on peut utiliser des robots ou des tracteurs connectés, ou bien des capteurs qui permettent un contrôle à distance pour éviter les déplacements sur les grandes exploitations dans le domaine agricole, par exemple. Nous allons voir dans quelles mesures ça peut se faire au Togo », a-t-il expliqué.
Aïsha Moyouzame
Après plusieurs distinctions, la start-up qui envisage d’effectuer une levée de 500 000 $ en ce début d’année 2022 ambitionne de devenir un des leaders de la smart agriculture en Afrique. Plusieurs pays suscitent son intérêt.
Grâce au projet Tolbi, qui signifie « champ » en wolof, Mouhamadou Lamine Kébé, alors étudiant en systèmes réseaux télécoms à l’Ecole supérieure polytechnique (ESP) de Dakar, et trois de ses camarades se sont attaqués, dès 2019, aux problèmes de gestion de l’eau que vivent les agriculteurs sénégalais. Ils ont développé un kit d’objets connectés basé sur l’intelligence artificielle et sur l’edge computing pour faciliter l’irrigation des champs et améliorer le rendement agricole.
« Nous utilisons des drones, des images satellitaires et des objets connectés avec des capteurs d’humidité pour permettre à l’utilisateur de disposer en temps réel des informations relatives aux besoins en eau et en engrais de leurs champs afin d’optimiser leur irrigation et d’améliorer leur rendement. Cela permet de réduire en amont les apports en eau et carburant, diminuant ainsi les coûts de production », explique Mouhamadou Lamine Kébé, fondateur de la start-up Tolbi.
Grâce aux capteurs, les données sont récupérées en temps réel dans une région donnée. Elles sont transmises aux ingénieurs qui les soumettent aux algorithmes d’intelligence artificielle afin d’en ressortir des informations clés pour la prise de décision. Les données analysées sont ensuite mises à la disposition des utilisateurs via des applications dédiées pour leur permettre de prendre une décision. Mouhamadou Lamine Kébé indique que le système, conçu pour répondre aux besoins de tous les agriculteurs, même ceux aux revenus modestes ou analphabètes, est accessible via un simple téléphone muni d’une carte SIM. Il suffit à l’agriculteur de composer le numéro du dispositif et d’interagir avec un système de commande vocal en wolof ou pulaar, deux langues parlées au Sénégal.
Un an après son développement, le projet est passé du stade du prototype à la mise sur le marché. « Nous réussissons à optimiser jusqu’à 30 % le rendement agricole tout en réduisant les pertes en eau jusqu’à 60 % », se réjouit le fondateur de Tolbi. Aujourd’hui, la solution s’est développée et propose déjà de nombreux autres services tels que le comptage des plants, le modelage du terrain, l’estimation de rendement, l’analyse de la santé des plantes, l’analyse des mauvaises herbes.
Avec un fort impact socioéconomique touchant l’agriculture, secteur économique qui a représenté 9,4 % du produit intérieur brut (PIB) du Sénégal en 2018 selon le rapport 2020 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), Tolbi a remporté plusieurs distinctions parmi lesquelles le Grand Prix du président de la République pour l’innovation numérique en 2020. La start-up, qui envisage d’effectuer une levée de fonds de 500 000 $ en début d’année 2022, ambitionne de devenir un des leaders de la smart agriculture en Afrique. Tolbi souhaite exporter ses compétences dans d’autres pays du continent, en particulier le Nigeria, le Kenya, l’Algérie ou le Maroc.
Ruben Tchounyabe
Initialement développée pour le marché tunisien en 2019, la solution a déjà réussi à s’exporter dans plusieurs pays à travers le continent. Conçue par trois jeunes tunisiens, elle continue de séduire de nombreux fermiers.
Grâce à Internet et au mobile, L’agritech Lifeye s’est lancée dans l’ambitieux projet de soutenir les fermiers d’Afrique dans le développement de leur cheptel bovin et l’amélioration de leur production laitière. Elle a créé à cet effet l’application MooMe pour résoudre les problèmes récurrents des élevages bovins en Tunisie, comme la mauvaise fertilité et la difficulté à détecter les maladies précoces.
MooMe, téléchargeable sur Playstore et Huawei AppGallery, offre à ses utilisateurs plusieurs services qui vont du suivi du vêlage et des chaleurs des vaches, à la surveillance des bêtes qui posent problème dans le troupeau. « Le plus important pour un éleveur est de savoir quand faire l’insémination artificielle. Ces données nous permettent de l’alerter à l’avance », a expliqué Ahmed Achballah, diplômé en sciences appliquées et co-fondateur de MooMe.
Pour Mohamed Kallel, l’autre co-fondateur de MooMe, « la grande précision qu’offre cette plateforme, dans l’identification du temps adéquat pour l’insémination des vaches qui ne dépasse généralement pas les 30 heures, évite à l’agriculteur le risque de manquer la possibilité d’inséminer ses vaches ». L’utilisateur de l’application a également la possibilité d’avoir en temps réel une vision globale sur le troupeau et de recevoir des alertes en cas d'activités anormales des vaches.
L’application est reliée à un collier connecté pour vache, muni d’un petit capteur qui analyse le niveau de rumination et les mouvements, notamment pour identifier des maladies comme la mammite ou la boiterie, mais aussi pour évaluer la période de fertilité de l’animal. Des boîtiers MooMe installés dans les étables collectent les données sur les animaux, les traduisent en algorithmes et tableurs qui sont renvoyées à Tunis au siège de la Start-up où se trouve la plateforme à laquelle les fermiers ont accès.
Développés en 2019, l’application gratuite et son collier connecté vendu à 200 dinars (62 euros) avec des formules par abonnement mensuel ont été testés dans les fermes du nord-ouest du pays. Aujourd’hui, Lifeye revendique 2500 vaches enregistrées dans sa base de données et plus de 1500 utilisateurs. Hormis la Tunisie, MooMe est déjà utilisé dans plusieurs pays que sont le Maroc, l’Algérie, l’Egypte, le Nigeria, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya ou encore le Zimbabwe et le Sénégal. Avec le financement obtenu l’année dernière du fonds d’amorçage Maxula Seed Fund de Maxula Gestion, la Start-up Lifeye travaille sur des améliorations de l’application.
Muriel Edjo
Ces deux jeunes Ivoiriens développent des systèmes d’irrigation automatique via smartphone avec des capteurs intégrés qui aident également les agriculteurs dans le choix des engrais.
Selon un rapport publié, il y a quelques semaines par le géant britannique de la téléphonie par satellite Inmarsat, l’adoption des technologies liées à l’Internet des Objets s’est accélérée dans le monde entier, à cause de la pandémie de Covid-19. Mais en Afrique, le monde agricole n’a pas attendu une catastrophe sanitaire planétaire pour entamer l’adoption de ce nouveau concept ainsi que des technologies qui y sont liées. Décryptage.
Contrairement à l’intelligence artificielle ou au machine learning, il est difficile d’avoir une définition exhaustive, mais simple de l’internet des objets (IoT- internet of things, en anglais), car il ne s’agit tout simplement pas d’une technologie. Il faut plutôt le comprendre comme un concept qui vise à tirer profit des données émises par la multitude d’objets connectés, utilisés dans tous les secteurs d’activité. Grâce à internet et au fonctionnement en réseau, ces objets connectés, dotés de capteurs, peuvent transmettre continuellement des informations les unes aux autres et permettre aux utilisateurs d’améliorer les processus de production ou le quotidien des particuliers.
L’Afrique mise sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles.
Il faut aussi souligner que l’IoT intègre les autres technologies suscitées, à savoir l’IA, l’apprentissage automatique ou encore la blockchain. Pour le moment, les usages de l’IoT connus du grand public se limitent parfois à des montres connectées, des voitures connectées ou encore la maison connectée. Mais les applications de l’IoT pour les entreprises sont celles qui offrent encore le plus de potentiel de croissance, en raison des besoins auxquels elles peuvent répondre.
L’agriculture en Afrique à l’ère de l’IoT
D’après l’ONU, le monde doit multiplier par deux sa production alimentaire d’ici 2050, pour répondre à la forte croissance attendue de la population. Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience. Les différentes innovations technologiques offrent une solution à cette quête d’efficacité et les agriculteurs africains, continent le plus visé par ce boom démographique, s’en emparent déjà.
Alors que les surfaces cultivables ont davantage tendance à rétrécir et que le changement climatique affecte la disponibilité de l’eau, le leitmotiv de l’industrie agricole est désormais l’efficience.
Dans plusieurs pays africains, l’agriculture représente l’un des principaux contributeurs à la création de richesse et la part du secteur dans le PIB de l’Afrique est estimée à 30%. Elle emploie aussi 60% de la population active, tout en produisant 80% des besoins alimentaires du continent. Après avoir migré progressivement, des méthodes d’exploitation peu industrialisées à la mécanisation et à l’usage intensif d’intrants agricoles et de pesticides, les agriculteurs du continent peuvent désormais profiter des nouvelles technologies adaptées à leur activité. Entre usage de produits chimiques et effets du changement climatique, l’agriculture traditionnelle fait en effet face à de multiples défis qui ont pour conséquences de réduire les récoltes et d’accroître la sous-alimentation. Selon des estimations concordantes en effet, la population africaine, déjà marquée en partie par des problèmes de sécheresse et de faim, devrait croître de 91% d’ici 2050, passant de 1,3 milliard en 2020 à 2,6 milliards.
IBM et l’agritech Hello Tractor développent des solutions au Kenya et au Nigeria.
Pour relever ces défis, plusieurs start-up tentent d’apporter des solutions en misant sur la technologie pour améliorer le rendement des entreprises agricoles. Dans ce contexte, l’internet des objets joue un rôle de premier plan, comme l’a démontré un accord conclu, il y a deux ans, entre IBM et l’agritech Hello Tractor, présente au Nigeria et au Kenya. Fin décembre 2018, le géant américain s’est en effet associé, à travers sa filiale IBM Research, à la jeune pousse ouest-africaine pour développer une plateforme basée notamment sur l’IA et la blockchain, au profit des agriculteurs africains. La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
La méthode est plutôt simple. Il s’agit d’installer des objets connectés dotés de capteurs dans les champs tout au long de l’année, afin qu’ils puissent récolter et transmettre des données sur la pluviométrie, les prédateurs des plantes, l’usage des intrants, etc.
Ces informations, associées à celles obtenues grâce à la météo et analysées grâce à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique, fournissent ensuite aux agriculteurs de précieuses indications. Ces dernières peuvent concerner le moment idéal pour planter, protéger les cultures grâce aux pesticides, irriguer, afin d’obtenir les meilleurs rendements possibles.
Unitrans Africa vulgarise l’usage du drone au Malawi et au Mozambique.
L’usage des objets connectés ne s’arrête pas là, comme le montre Unitrans Africa. Spécialisée dans la fourniture de diverses solutions aux agriculteurs africains, elle a acquis cette année une flotte de drones au profit de ses clients du Malawi et du Mozambique, dans un premier temps. Les engins peuvent non seulement assurer la pulvérisation aérienne à un coût inférieur à celui des avions, mais en plus, grâce aux capteurs dont ils sont dotés, ils peuvent fournir à l’agriculteur des informations sur les cultures qui ont plus ou moins besoin d’intrants agricoles, tout en identifiant rapidement, sur des champs de plusieurs milliers d’hectares, des zones subissant divers stress.
L’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Par ailleurs, des capteurs peuvent aussi être installés sur les machines agricoles et prévenir ainsi les propriétaires de potentielles réparations ou travaux de maintenance à faire. Cela limite les imprévus et participe aussi à l’amélioration du rendement des cultures. Enfin, l’autre aspect qui peut passer inaperçu, mais qui est tout aussi précieux dans une agriculture numérisée, c’est la disponibilité de données fiables sur les récoltes, ce qui peut encourager les établissements de crédit à accorder plus facilement du financement aux entrepreneurs agricoles.
Des contraintes
Faut-il le rappeler, les agritech ne sont pas l’apanage de l’Afrique. Dans son rapport intitulé « Industrial IoT in the time of Covid-19 », élaboré avec l’appui du cabinet Vanson Bourne, Inmarsat rappelle que « les investissements dans les technologies destinées à soutenir la production alimentaire ont été multipliés par six depuis 2012, pour atteindre 20 milliards de dollars en 2019 ». Sur ce total, il faut souligner que les technologies centrées sur l’amélioration génétique des cultures ou l’agriculture de précision occupent une belle place. Par ailleurs, à travers le monde, les entreprises qui sont plus enclines à effectuer les investissements nécessaires sont celles de grande taille (250 à 3000 employés et plus). En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
En Afrique où les petites et moyennes entreprises dominent encore le secteur, se pose donc le problème du financement pour mener cette nouvelle révolution technologique.
A cela, il faut ajouter un problème tout aussi important qui concerne la fracture numérique. L’agriculture se pratique en zone rurale et il s’agit encore malheureusement des régions les plus délaissées par les opérateurs, en ce qui concerne l’accès à internet. Le taux de pénétration de l’internet mobile s’élève ainsi à 28% en Afrique subsaharienne, selon les chiffres de 2020 de l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie (GSMA). Le coût de l’internet constitue aussi un obstacle, sans oublier la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée pour exploiter les données, ainsi que les besoins de formation des agriculteurs à l’utilisation de cette technologie. Il ne s’agit heureusement pas de difficultés insurmontables et une forte volonté politique peut permettre de démocratiser l’usage de l’Internet des Objets dans l’agriculture africaine.
Emiliano Tossou