En Afrique, le numérique suscite de grands espoirs pour l’évolution sociale et économique. Pourtant, son développement reste entravé par des défis structurels majeurs, limitant ses bénéfices.
En Afrique, la numérisation, mesurée par l’accès aux câbles sous-marins et la possession de téléphone mobile, augmente la probabilité de mobilité professionnelle ascendante et diminue le risque de déclassement. C’est ce que révèle le rapport « Digitalization: A Catalyst for Intergenerational Occupational Mobility? », publié en mai 2025 par le Fonds monétaire international (FMI).
Selon cette étude, faite sur un échantillon de plus de 28 millions de personnes dans 27 pays africains, la connexion aux câbles sous-marins augmente la probabilité de mobilité professionnelle ascendante de 17,5 à 26,7 points de pourcentage et diminue le risque de déclassement de 17,8 à 36,7 points. La possession d’un téléphone mobile accroît les chances de mobilité ascendante de 8 à 10,7 points et réduit le risque de déclassement de 13 à 17,4 points. Ces résultats illustrent l’impact potentiel du numérique sur les trajectoires professionnelles en Afrique.
Des effets mesurés, des écarts persistants
D’après le FMI, la dynamique varie fortement selon les pays. À Maurice, 75 % des enfants de travailleurs agricoles accèdent à des emplois qualifiés ou de cadres, contre seulement 2 % au Burkina Faso. Le taux moyen de mobilité ascendante atteint 19 %, tandis que le déclassement concerne 28 % des individus. Ces écarts s’expliquent par des différences d’infrastructures, de politiques publiques et de stabilité institutionnelle.
Pays | Mobilité ascendante | Mobilité descendante |
Maurice | 0,75 | 0,10 |
Afrique du Sud | 0,48 | 0,14 |
Botswana | 0,46 | 0,23 |
Burkina Faso | 0,02 | 0,46 |
Moyenne | 0,19 | 0,28 |
Source : FMI, 2025
Le numérique, un catalyseur sous conditions
Le FMI insiste sur le fait que l’effet du numérique dépend fortement du contexte institutionnel et des politiques publiques. La digitalisation n’est un levier de mobilité sociale que si elle s’inscrit dans un environnement institutionnel solide et des politiques publiques volontaristes. Le rapport montre que l’impact positif du numérique est amplifié dans les pays où les gouvernements investissent dans les infrastructures et promeuvent activement les technologies de l’information et de la communication (TIC). À l’inverse, l’absence de ces catalyseurs limite l’effet du numérique sur la mobilité sociale.
Des fractures numériques et sociales persistantes
Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), en 2024, seuls 38 % des Africains sont connectés à Internet, avec de fortes disparités entre milieux urbain (57 %) et rural (23 %). L’Union note aussi que 43 % des hommes utilisent Internet contre seulement 31 % des femmes, révélant une fracture numérique de genre persistante.
L’Association mondiale des opérateurs de téléphonie mobile (GSMA) souligne que les pressions fiscales auxquelles sont soumis les opérateurs de téléphonie mobile freinent aussi l’adoption des outils numériques par les populations vulnérables. Elle insiste sur la nécessité de politiques ciblées pour réduire ces barrières structurelles et éviter que le numérique ne devienne un facteur d’exclusion supplémentaire.
Gouvernance et politiques publiques : des progrès inégaux
De nombreux pays africains ont adopté des stratégies nationales pour le numérique, mais seuls 18 % disposent d’une régulation avancée du secteur, selon l’UIT. Les cadres réglementaires restent hétérogènes, notamment sur la protection des données et la cybersécurité. Des coupures majeures de câbles sous-marins en 2024 ont mis en évidence la dépendance du continent à des infrastructures internationales et la vulnérabilité de la connectivité.
Des initiatives existent : subventions à l’équipement, programmes de formation, réseaux communautaires. Mais leur portée reste limitée face à l’ampleur des besoins et à la rapidité des évolutions technologiques.
Des experts appellent à la prudence
Des experts de la Banque mondiale et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) mettent en garde contre une vision trop technophile. Selon eux, la digitalisation ne garantit pas automatiquement la création d’emplois de qualité ni la réduction des inégalités.
L’automatisation et l’essor des plateformes numériques risquent d’exclure une partie de la population du marché du travail, faute de compétences adaptées. Le risque, selon le rapport sur l’avenir du travail en Afrique, est que seuls les travailleurs déjà qualifiés bénéficient de ces transformations.
Perspectives et enjeux
Selon le rapport du FMI, le potentiel du numérique ne se réalisera que si les États africains investissent dans l’éducation, l’infrastructure et la gouvernance, tout en veillant à ne pas laisser les populations les plus vulnérables au bord du chemin. Passer du 25e au 75e percentile de l’indice de qualité institutionnelle augmente la probabilité de mobilité ascendante de 8,8 points et réduit celle de déclassement de 3,2 points. Un score élevé de réussite gouvernementale dans la promotion des TIC accroît la mobilité ascendante de 5,3 points et réduit le déclassement de 22 points, ajoute le FMI.
Melchior Koba
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Avec la transformation numérique qui s’accélère, les pays africains misent davantage sur le développement des compétences numériques de leurs populations. Ce savoir-faire devient essentiel pour saisir les opportunités d’emploi et d’innovation dans l’économie digitale.
Le gouvernement tchadien a annoncé une formation gratuite sur l’intelligence artificielle (IA) destinée à 2000 jeunes âgés de 15 à 35 ans, qui se tiendra du 4 au 14 août. L’initiative a été révélée le jeudi 10 juillet par Boukar Michel, ministre de l’Économie numérique, lors d’une conférence de presse à N’Djamena.
Sur son site web, l’Agence de développement des TIC (ADETIC), partenaire sur le projet, précise que « cette initiative vise à renforcer les capacités nationales dans le domaine stratégique de l’IA, en dotant les participants de compétences pratiques et théoriques sur les technologies émergentes, les enjeux éthiques et les opportunités de développement durable qu’offre l’intelligence artificielle ». Le programme est mis en œuvre avec d’autres partenaires comme la Chaire UNESCO pour l’Afrique centrale, la Banque mondiale, l’École nationale supérieure des TIC (ENASTIC) et Safitel Chad.
Cette initiative traduit une volonté des autorités tchadiennes de préparer la jeunesse aux métiers d’avenir dans un contexte de révolution numérique. Selon les données de la Banque mondiale, 230 millions d’emplois en Afrique subsaharienne nécessiteront des compétences numériques d’ici 2030. Pour les autorités, cette formation représente une passerelle vers l’emploi, l’innovation et l’entrepreneuriat numérique avec la création de start-up.
Pour rappel, le Tchad comptait 20,7 millions d’habitants au début de l’année 2025, selon la plateforme DataReportal. La population est majoritairement jeune : 79,8 % a moins de 35 ans, et 38,7 % se situe dans la tranche des 13 à 34 ans, cœur de cible de la formation. Pourtant, cette jeunesse reste largement sous-employée. D’après la Banque mondiale, si le taux de chômage des jeunes était estimé à seulement 2 % en 2021, le taux d’inactivité atteint 62,3 %. De plus, 37,4 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
Malgré les opportunités que présente cette formation, plusieurs questions restent en suspens. Le mode d’organisation, qu’il soit en présentiel ou à distance, n’a pas encore été clairement défini. Dans le cas d’un déroulement en ligne, l’équipement numérique des bénéficiaires ainsi que leur capacité à disposer d’une connexion stable et abordable pourraient influencer leur participation effective. Par ailleurs, la durée de la formation soulève aussi des questions sur le niveau des modules proposés et la valeur réelle de la certification sur le marché de l’emploi tchadien et international. L’adaptation de ce programme au contexte local, ainsi que la possibilité d’organiser de nouvelles sessions pour toucher un public plus large, restent également à clarifier.
Isaac K. Kassouwi
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Après le lancement de sa stratégie numérique, le Sénégal veut attirer des investisseurs pour concrétiser ses projets. Les États-Unis, acteur clé de la tech mondiale, représentent un partenaire stratégique pour faire du pays un hub numérique en Afrique.
En marge du mini-sommet économique organisé à la Maison-Blanche par le président américain, Donald Trump (photo, à gauche), le chef de l'État sénégalais, Bassirou Diomaye Faye (photo, à droite), a rencontré, le mercredi 9 juillet, son homologue américain, en compagnie de plusieurs dirigeants africains et d’investisseurs américains. À cette occasion, il a présenté une série de projets stratégiques nécessitant des investissements structurants, dont un projet phare : la création d’une ville numérique en bord de mer à Dakar.
Prévue sur un site de 40 hectares en bord de mer, la ville numérique que souhaite développer le Sénégal ambitionne de transformer Dakar en un hub technologique majeur en Afrique, à l’image d’une Silicon Valley africaine, ouverte à l’innovation mondiale. L'objectif est d'attirer les plus grandes entreprises américaines du secteur, notamment dans l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les fintech et le cloud computing.
Ce projet s’inscrit dans la vision portée par le New Deal Technologique, lancé par les autorités sénégalaises, qui prévoit de faire du numérique un pilier du développement économique. Avec une enveloppe de plus de 1105 milliards FCFA (environ 2 milliards de dollars), cette stratégie vise à moderniser les infrastructures numériques, soutenir les start-up et étendre la connectivité sur l’ensemble du territoire.
En présentant ce projet à la Maison-Blanche, le président Faye cherche à créer un effet d’entraînement auprès des investisseurs américains, en positionnant le Sénégal comme une porte d’entrée stable, innovante et dynamique vers l’Afrique numérique. Si les financements sont mobilisés et les partenariats conclus, cette future ville pourrait devenir un levier de transformation pour l’écosystème technologique ouest-africain, tout en contribuant à la création d’emplois qualifiés et à l’insertion du pays dans l’économie mondiale de demain.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Les innovations numériques transforment les systèmes éducatifs à travers le monde. Ces avancées technologiques ouvrent de nouvelles opportunités d’apprentissage, notamment dans les zones isolées, et renforcent la qualité de l’éducation.
Le ministère ghanéen de l’Éducation et l’initiative eLearning Africa ont signé, le mardi 8 juillet, un mémorandum d’accord visant à étendre l’accès aux plateformes d’apprentissage numérique à l’échelle nationale. Ce partenariat concrétise la volonté du gouvernement d’investir dans les infrastructures et l’innovation pédagogique pour améliorer la qualité de l’éducation. « Aujourd’hui marque un peu plus qu’un accord formel, il témoigne de l’engagement du Ghana à être à l’avant-garde de la transformation numérique éducative en Afrique. Depuis 2005, eLearning Africa est la première plateforme continentale d’innovation éducative », a déclaré le vice-ministre de l’Éducation, Clement Apaak.
Concrètement, l’accord prévoit le déploiement d’outils numériques modernes dans les établissements scolaires, en particulier dans les zones mal desservies, ainsi que le renforcement des compétences fondamentales des élèves. Il s’appuie sur l’expertise de la plateforme eLearning Africa, active depuis deux décennies en collaboration avec les gouvernements africains, pour fournir des contenus adaptés aux contextes locaux.
En parallèle, le Ghana s’est engagé à accueillir la 18ᵉ édition de la conférence eLearning Africa, du 3 au 5 juin 2026 à Accra. L’événement mettra en lumière les avancées du programme national et la stratégie éducative du pays à l’horizon 2030.
Cet accord intervient dans un contexte d’accélération de la transformation numérique de l’éducation au Ghana, mais reste freiné par des inégalités d’accès. Bien que le taux de pénétration de l’internet atteigne 69,9 %, plus de 30 % des Ghanéens restent hors ligne, et les établissements ruraux demeurent souvent sous-équipés.
Ces défis soulignent la nécessité d’un investissement accru dans les infrastructures numériques, la formation des enseignants et la dotation en équipements, conditions indispensables pour tirer pleinement parti des technologies éducatives, y compris de l’intelligence artificielle. À terme, cet accord pourrait favoriser une plus grande inclusion scolaire dans les zones reculées et consolider l’ambition du Ghana de se positionner comme un pôle d’innovation éducative numérique sur le continent africain, en capitalisant sur les opportunités offertes par l’EdTech pour réduire les inégalités, renforcer les apprentissages et préparer les jeunes aux métiers de demain.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Les start-up occupent une place croissante dans les stratégies de développement économique, portées par leur capacité d’innovation et leur agilité. En misant sur ces jeunes entreprises, l’Algérie entend accélérer la modernisation de ses secteurs clés, dont celui des infrastructures.
L’Algérie mise sur ses jeunes entreprises innovantes pour moderniser ses infrastructures. Une commission conjointe a été mise en place le mercredi 9 juillet entre le ministère des Travaux publics et des Infrastructures de base et celui de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, afin d’impliquer les start-up dans la conception et la réalisation des projets d’infrastructure.
L’objectif affiché est de structurer un cadre de coopération entre les deux secteurs pour exploiter le potentiel technologique des start-up dans les projets ferroviaires, les transports guidés ou encore la gestion intelligente des chantiers. Le recours à des outils numériques, à la recherche appliquée et à la gestion des connaissances est au cœur de cette approche.
Dans cette optique, des plateformes d’échange et des ateliers de co-développement seront mis en place pour connecter les start-up aux différents acteurs du secteur. L’idée est de leur permettre d’intervenir dès les premières étapes des projets, depuis les phases d’étude et de suivi jusqu’à l’exécution, en intégrant des solutions locales, agiles et économiquement viables.
Cette initiative s’inscrit dans la politique de soutien à l’économie de la connaissance engagée depuis 2020. Le pays s’est doté d’un ministère dédié aux start-up, a mis en place le label « Start-up », le Fonds algérien des start-up (ASF), ainsi que plusieurs incubateurs et dispositifs d’accompagnement. Le pays compte aujourd’hui entre 5 000 et 8 000 start-up, dont plus de 1 200 ont obtenu le label officiel « Start-up » délivré par la Commission nationale de labellisation.
En mobilisant cet écosystème sur les chantiers stratégiques, le gouvernement entend stimuler l’innovation locale, réduire la dépendance technologique et renforcer les capacités internes. À terme, cette orientation pourrait dynamiser l’emploi qualifié et consolider un tissu entrepreneurial tourné vers les besoins du marché national.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Selon McKinsey, l’intelligence artificielle (IA) pourrait injecter jusqu’à 1200 milliards de dollars dans l’économie africaine d’ici 2030. Pour tirer parti de ce potentiel, la formation des talents s’impose comme un levier stratégique majeur. Le Cameroun s’engage résolument sur cette voie.
Le Cameroun ambitionne de former 60 000 spécialistes en intelligence artificielle d’ici 2040, dont 40 % de femmes, dans le cadre de sa Stratégie nationale pour l’IA (SNIA), dévoilée récemment par la ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng. Cette initiative s’inscrit dans une vision plus large visant à faire du pays un hub africain de l’intelligence artificielle.
Parmi les principaux objectifs de cette stratégie figurent également la création de 12 000 emplois directs, la mise au point de 12 solutions souveraines à fort impact socio-économique, et une contribution attendue de l’IA au PIB national estimée entre 0,8 % et 1,2 %. Une attention particulière est accordée à la diversité linguistique, avec le développement de modèles d’IA capables d’intégrer les langues nationales, un levier clé pour l’inclusion numérique et la valorisation des patrimoines culturels locaux.
Cependant, pour concrétiser ces ambitions, le Cameroun doit combler plusieurs lacunes majeures. Le pays souffre encore d’un retard significatif en matière d’infrastructures numériques, notamment en ce qui concerne le déploiement de centres de données modernes, le développement de plateformes cloud sécurisées, ainsi qu’une connectivité haut débit inégale, en particulier dans les zones rurales.
Sur le plan continental, cette réalité est illustrée par le dernier classement de l’Union internationale des télécommunications (UIT), dans lequel le Cameroun obtient un score de 46,3 sur 100, se classant à la 30ᵉ position sur 42 pays africains. Un résultat en dessous de la moyenne continentale, estimée à 56 points, qui témoigne de la nécessité pour le pays d’accélérer ses efforts.
La formation de talents qualifiés demeure l’un des défis majeurs. Le manque d’ingénieurs, de chercheurs et de spécialistes en IA freine le développement du secteur. Pour y remédier, le Cameroun devra investir massivement dans la création de centres d’excellence, établir des écoles et instituts spécialisés dans les technologies avancées, et intégrer des programmes de formation à l’IA dans les cursus secondaires et universitaires. Des partenariats structurants entre universités, entreprises technologiques et institutions publiques seront indispensables pour adapter les contenus pédagogiques aux réalités du marché.
Par ailleurs, il sera crucial de mettre en œuvre des programmes de formation continue et de reconversion professionnelle, afin de doter un large public des compétences numériques nécessaires à l’économie de demain. L’élargissement de l’accès à Internet haut débit, notamment dans les zones reculées, devra également accompagner cette dynamique, tout comme la stimulation d’un écosystème entrepreneurial innovant, apte à attirer les investisseurs et à favoriser l’émergence de solutions locales.
L’objectif de former 40 % de femmes est ambitieux et louable, mais il implique des mesures proactives : campagnes de sensibilisation, mentorat, soutien aux carrières féminines dans la tech, et lutte contre les stéréotypes de genre dans les filières scientifiques.
Malgré ces défis, des signaux encourageants émergent. La récente adoption d’une loi sur la protection des données personnelles ainsi que les premières concertations nationales sur l’IA témoignent d’une volonté politique affirmée de créer un cadre réglementaire solide, condition essentielle à la structuration du secteur et à la confiance des acteurs.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Confrontée à une crise structurelle majeure, l’Afrique peut s’appuyer sur l’intelligence artificielle pour repenser son système éducatif. De la personnalisation de l’apprentissage à l’optimisation de la gestion, l’IA ouvre des perspectives durables, malgré de nombreux défis.
L’intelligence artificielle (IA), au cœur des transformations globales, pourrait jouer un rôle décisif dans la refondation du système éducatif africain. Marqué par des effectifs en forte croissance, une pénurie d’enseignants et des infrastructures limitées, le continent fait face à une crise structurelle. En 2024, selon l’UNESCO, 58 % des adolescents de 15 à 17 ans en Afrique subsaharienne n’étaient pas scolarisés, et 98 millions d’enfants restaient totalement hors du système. L’accès à l’électricité, à Internet et aux ressources pédagogiques reste marginal dans de nombreuses régions.
Un outil d’adaptation face à la pénurie d’enseignants
L’un des problèmes les plus urgents auxquels l’éducation africaine est confrontée est la pénurie chronique d’enseignants qualifiés. Selon l’UNESCO, plus de 16,5 millions d’enseignants devront être recrutés d’ici 2030 pour répondre à la croissance démographique en Afrique subsaharienne. Sans remplacer le personnel éducatif, l’IA peut jouer un rôle clé en soutenant les enseignants surchargés à travers la correction automatisée des devoirs, la génération de supports pédagogiques personnalisés, ou encore l’assistance à la planification des cours. Au Kenya, certains enseignants testent l’assistant Kalasik, un chatbot qui génère des plans de cours et automatise les tâches répétitives.
Une pédagogie personnalisée et inclusive
L’IA permet aussi de créer des parcours éducatifs adaptés au niveau de chaque élève, en s’appuyant sur ses progrès et difficultés. Dans des classes souvent surchargées, cette approche individualisée est quasi impossible sans outils numériques. Grâce à des systèmes intelligents, les élèves peuvent accéder à des exercices interactifs, à des tutoriels ou à des retours personnalisés, notamment en dehors du temps scolaire. Cette personnalisation contribue à réduire le décrochage scolaire et à maintenir l’intérêt des apprenants, notamment dans les zones rurales ou marginalisées.
En milieu informel, l’assistant Kwame for Science, déployé dans 11 pays d’Afrique de l’Ouest, offre un tutorat adapté aux élèves de sciences. Son taux de précision parmi les trois premières réponses est de 87 %, avec 750 utilisateurs sur plusieurs mois.
Des données pour piloter les politiques éducatives
Au-delà de la salle de classe, l’IA peut transformer la gouvernance du système éducatif en fournissant des données précises et en temps réel. Les ministères de l’Éducation peuvent ainsi mieux comprendre les zones de sous-scolarisation, anticiper les besoins en infrastructures ou en enseignants, et orienter les ressources là où elles sont le plus nécessaires. L’analyse prédictive, nourrie par les données démographiques, scolaires et territoriales, permet de passer d’une logique réactive à une planification proactive.
Des stratégies nationales en phase avec l’éducation
Plusieurs États africains ont déjà franchi le pas en intégrant l’éducation dans leurs stratégies nationales d’IA. Le Kenya, par exemple, a récemment lancé une stratégie nationale sur les technologies émergentes et l’IA (2025–2030), co-construite avec l’UNESCO, mettant l’accent sur l’intégration de l’IA en éducation via des curriculums basés sur les compétences numériques.
La Zambie et la Côte d’Ivoire ont également lancé des stratégies nationales d’IA, identifiant l’éducation comme l’un de leurs secteurs prioritaires, avec des mesures visant à intégrer l’analyse des données scolaires et l’apprentissage personnalisé. Le Nigeria adopte une approche combinée : développement des compétences en IA et intégration de l’IA dans l’éducation, notamment via des partenariats avec les universités et les acteurs privés. D’autres pays, comme le Sénégal, le Burkina Faso et le Congo, ont aussi inscrit l’IA dans l’éducation comme composante de leurs stratégies numériques.
Défis à relever pour une adoption à grande échelle
Pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA, l’Afrique doit surmonter plusieurs obstacles : infrastructures numériques insuffisantes, manque de formation des enseignants, enjeux éthiques liés à la gestion des données, et surtout financement des technologies éducatives (EdTech). Le développement et le déploiement des solutions IA exigent des investissements conséquents, ainsi qu’un modèle économique viable pour assurer leur pérennité.
Il est aussi crucial de protéger les données sensibles des élèves via des cadres éthiques robustes. Les solutions doivent être adaptées aux langues locales et aux contextes culturels. Enfin, un engagement durable des États, des partenaires techniques, des investisseurs et du secteur privé est nécessaire pour financer un écosystème éducatif pérenne au-delà des projets pilotes.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Le phénomène des nomades numériques, en pleine expansion depuis l’essor du télétravail, ouvre de nouvelles perspectives pour les pays africains. Entre attractivité croissante, infrastructures en développement et politiques encore balbutiantes, le continent pourrait bien devenir un acteur clé de cette nouvelle géographie du travail.
Depuis 2020, le monde du travail connaît une révolution silencieuse, mais profonde. En quelques années, le nomadisme numérique est passé d’un phénomène marginal à une dynamique mondiale, portée par la digitalisation des métiers, l’essor du travail à distance et les aspirations à une vie plus flexible. Si cette tendance a d’abord conquis les grandes capitales occidentales, elle s'étend désormais à l’Afrique qui pourrait capter une manne financière estimée à plusieurs milliards de dollars dans les prochaines années. À condition de s’en donner les moyens.
Un phénomène mondial aux retombées locales
Le nomade numérique, c’est ce travailleur qui, grâce à un ordinateur et une connexion Internet, peut exercer son activité depuis n’importe quelle partie du monde : un freelance en marketing basé à Nairobi pendant six mois, une développeuse sénégalaise qui vit entre Dakar et Bali, ou encore un designer américain installé à Zanzibar, le temps d'un été.
Selon les statistiques 2025 collectées par Nomads.com, la plateforme de la communauté mondiale des nomades numériques, il y a plus de 80 millions de nomades numériques dans le monde. Un chiffre en hausse constante. Leur impact économique est loin d’être négligeable : en moyenne, un nomade numérique gagne 124 000 dollars par an. Il dépense entre 1 000 et 3 000 dollars par mois dans le pays qui l'accueille — hébergement, restauration, loisirs, coworking, transports, etc. Pour les pays hôtes, cela représente une source de revenus directe pour les économies locales, sans les contraintes classiques du tourisme de masse. Les Américains représentent la plus forte communauté de nomades numériques, avec 46 millions d’individus à travers le monde. Près de 88% des nomades numériques à l’échelle mondiale sont originaires de pays situés en dehors de l'Afrique.
Profil type du nomade numérique selon Nomads.com :
Catégorie |
Sous-catégorie |
Valeur |
Âge |
53 % ont entre 31 et 39 ans |
|
Genre |
Hommes |
91 % |
Femmes |
7 % |
|
Autres genres |
2 % |
|
Éducation |
90 % niveau supérieur |
|
Durée de séjour moyen |
Par ville |
63 jours |
Par pays |
167 jours |
|
Revenu annuel moyen |
124 304 $ |
|
Statut professionnel |
Salariés à plein temps |
38 % |
Fondateurs de start-up |
18 % |
|
Freelances |
18 % |
|
Secteurs dominants (Hommes) |
Développement logiciel |
35 % |
Développement web |
28 % |
|
Fondateurs de start-up |
28 % |
|
Marketing |
16 % |
|
Secteurs dominants (Femmes) |
Marketing |
16 % |
Industrie créative |
15 % |
|
Start-up |
12 % |
|
Développement logiciel |
10 % |
|
Motivations |
Cadre de travail + escapades en Afrique |
Source : Nomads.com
L’Afrique, une nouvelle frontière
Longtemps ignorée, l’Afrique commence à apparaître sur la carte du nomadisme numérique mondial. Le Cap, Johannesburg, Marrakech, Accra, Dakar, Abuja, ou encore Luanda, Libreville, Cotonou figurent parmi les destinations qui suscitent un intérêt croissant sur le continent. Ces villes attirent une nouvelle génération de télétravailleurs en quête d’authenticité, de coûts de la vie plus accessibles et de connexions humaines fortes. Ces villes proposent une connectivité à haut débit stable, de l’électricité, des cadres de travail et d’hébergement selon des standards adaptés, des services de restauration, de transport et sanitaires. En somme un cadre propice à une expérience alliant efficacité professionnelle et découverte touristique.
Cette dynamique ne concerne pas seulement les étrangers. Une partie croissante de la jeunesse africaine, notamment dans les secteurs du digital (développement web, design, community management, rédaction, etc.), s’éveille, elle aussi, à un mode de vie itinérant, souvent à l’intérieur du continent. Ce nomadisme intra-africain est soutenu par des destinations qui appliquent une exemption totale ou partielle de visa comme le Sénégal, le Bénin, le Kenya, le Ghana ou encore le Rwanda. Des incitations qui redessinent les cartes de la mobilité professionnelle à l’heure de la transformation numérique.
Des milliards de dollars à capter
Selon Newland Chase, fournisseur mondial de services d'immigration et de visas, 35 millions de nomades numériques recensés dans le monde en 2021 ont contribué à une valeur économique globale de 787 milliards de dollars. Faute d’études détaillées sur les perspectives économiques du nomadisme numérique en Afrique, une estimation basée sur une hypothèse modérée de 500 000 nomades numériques étrangers en Afrique dépensant chacun 1000 $ par mois laisse entrevoir que le continent pourrait générer 6 milliards de dollars de retombées économiques par an. En ciblant seulement 2 % du nombre de nomades numériques identifiés dans le monde par Nomads.com en 2025 (environ 80 millions), soit environ 1,6 million de travailleurs, l'Afrique pourrait capter près de 20 milliards de dollars annuellement, via les dépenses directes de ces professionnels. Mais au-delà de cette consommation immédiate, le nomadisme numérique constitue un levier de croissance pour de nombreux secteurs économiques comme l’immobilier locatif de court terme, la restauration et l’hôtellerie, les services Internet, les transports locaux, l’économie des loisirs (randonnées et autres activités sportives ou touristiques). Un potentiel qui pourrait profiter à des milliers de petites entreprises locales, notamment dans les zones urbaines.
Des initiatives rares, mais prometteuses
Quelques pays africains ont commencé à structurer leur offre pour les travailleurs nomades. En 2020, l’île Maurice a lancé son visa Premium. Les ressortissants de 114 pays y sont éligibles. Le visa est gratuit et valide pour un an renouvelable. Pour l'obtenir, le demandeur doit impérativement prouver que son activité principale et/ou la source de ses revenus se situent en dehors de l'île, afin de ne pas intégrer le marché du travail local. Il doit justifier d’un revenu mensuel d’au moins 1500 dollars.
Pour le Cap-Vert qui a fait du numérique et du tourisme des leviers de croissance économique, le visa pour nomade numérique a été lancé en 2020. Il est valide pour une période de six mois renouvelable. Il est payant. Les nomades numériques au Cap-Vert sont exonérés de l'impôt sur le revenu et de toute autre taxe locale. Le pays n’impose pas de salaire minimum, mais le demandeur de visa doit justifier d’un revenu. Il doit présenter un solde bancaire moyen minimum de 1500 € au cours des six derniers mois précédant la demande de visa.
En 2024, l’Afrique du Sud a adopté le visa de nomade numérique. Il permet à son titulaire de résider sur le territoire pour une durée allant de trois mois à trois ans. Le demandeur doit apporter la preuve sous la forme de relevés bancaires de trois mois qu’il gagne un salaire brut annuel d'au moins 650 796 rands (36 782 dollars).
D’autres pays comme la Namibie ou le Kenya ont également adopté le visa de nomade numérique en 2024 pour attirer des talents internationaux et stimuler l’économie locale. Mais l’Afrique reste à la traîne par rapport à d’autres régions comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, qui ont compris l’intérêt de proposer des visas pour nomades numériques, des hubs technologiques, des exonérations fiscales, ou des services spécialisés.
Défis à relever
L’Afrique a du potentiel pour capitaliser sur le nomadisme numérique. Le continent affiche un taux de couverture haut débit élevé. Il est de 71% pour la 4G selon l’Union internationale des télécommunications (UIT) et de 86% pour la 3G. La 5G ne représente encore que 11% de la couverture réseau du continent. Dans la zone urbaine, le taux de couverture 4G est de 73% pour la 4G et de 2% pour la 3G. La 5G couvre déjà 25% de la zone urbaine africaine. Elle est disponible dans les capitales des pays comme l’Afrique du Sud, Sénégal, Maurice, Nigeria, Botswana, Ethiopie ou encore Seychelles, Tunisie, Lesotho. En zone rurale, la couverture de la 4G atteint 49% contre 26% pour la 3G et 14% pour la 2G. Si les grandes villes disposent généralement d’un accès Internet fiable, ce n’est pas encore le cas dans de nombreuses régions secondaires.
Pour ce qui est du prix du forfait Internet mobile le plus accessible du marché (2GB), il représente 3,9% du revenu national brut mensuel (RNB) par habitant contre 13,4% du RNB pour l’internet fixe (5GB). Ces tarifs sont jugés élevés, car ils dépassent le seuil des 2% du RNB recommandé par la Commission du haut débit pour le développement durable des Nations unies. A l’échelle mondiale, le prix moyen du forfait Internet mobile le plus accessible du marché représente près de 1% du RNB contre près de 2,3% du RNB pour l’Internet fixe.
A ces défis, s’ajoutent des questions de stabilité politique et de sécurité. Les risques d’instabilité dans certaines zones freinent les visiteurs, même si celles-ci sont minoritaires à l’échelle du continent. L’absence de statut clair pour les travailleurs nomades réduit également l’attrait des destinations africaines. Les visas touristiques ne sont pas adaptés à des séjours de longue durée et n’offrent pas les mêmes incitations. Cela suppose qu’il faut intégrer le nomadisme numérique dans les politiques publiques du tourisme, de l’entrepreneuriat et de l’emploi des jeunes et adopter les politiques à cet effet.
Le nomadisme numérique n’est pas qu’un phénomène de mode ou réservé à une élite occidentale. C’est une mutation profonde du travail mondial, dans laquelle l’Afrique peut jouer un rôle de premier plan, à condition d’anticiper, d’investir et d’innover.
Muriel Edjo
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Le gouvernement camerounais veut faire de l’intelligence artificielle un levier clé de sa transformation numérique. Il adopte une feuille de route ambitieuse pour structurer ce secteur stratégique et en tirer pleinement profit dans tous les pans de l’économie.
La ministre des Postes et Télécommunications, Minette Libom Li Likeng, a dévoilé ce lundi 7 juillet la Stratégie nationale d’intelligence artificielle (SNIA) du Cameroun à l’occasion de la 2e édition des Concertations nationales sur l’IA. Portée par une vision à l’horizon 2040, cette stratégie ambitionne de faire du pays un hub continental en matière d’IA, en misant sur des solutions souveraines, inclusives et durables, ancrées dans les réalités culturelles africaines.
Une vision ambitieuse portée par des objectifs chiffrés
La SNIA entend faire du Cameroun « le hub de référence en intelligence artificielle en Afrique » en misant sur des solutions ancrées dans les valeurs africaines. Parmi les objectifs fixés : former 60 000 talents (dont 40 % de femmes), créer 12 000 emplois directs, faire contribuer l’IA à hauteur de 0,8 à 1,2 % du PIB, et développer 12 solutions IA souveraines à fort impact. Une attention particulière est portée à la diversité linguistique avec la conception de modèles multilingues intégrant les langues nationales.
Sept piliers structurants pour concrétiser la stratégie
Le document stratégique repose sur sept piliers interdépendants. Le premier est celui de la gouvernance et de la souveraineté numérique, avec la création d’une autorité camerounaise de l’IA, d’un Conseil présidentiel pour l’IA et l’élaboration d’une loi-cadre intégrant les enjeux éthiques et les mécanismes de coordination ministérielle. Le deuxième pilier concerne les données et l’infrastructure numérique. Il prévoit la mise en place d’un Data Lake gouvernemental, la numérisation massive des services publics, des normes d’interopérabilité et une politique ciblée d’Open Data.
Le troisième pilier est axé sur une IA multilingue et inclusive, à travers le développement d’un modèle de langage local – le « GPT Cameroun » – et la valorisation des langues nationales par la recherche linguistique et la collecte de données vocales. Le quatrième pilier porte sur l’infrastructure technologique souveraine, avec l’installation de quinze nœuds régionaux d’Edge Computing, alimentés par des micro-réseaux solaires pour renforcer la résilience énergétique.
Le cinquième pilier est dédié à la formation, la recherche et le capital humain, avec la création de cinq centres d’excellence en IA, un objectif de 4000 personnes formées par an, un programme de retour des talents de la diaspora et un soutien accru à la recherche locale. Le sixième pilier, consacré à l’innovation et aux cas d’usage sectoriels, vise à stimuler les start-up à travers des accélérateurs et à promouvoir l’adoption de l’IA dans des domaines clés tels que la santé, l’agriculture, la justice ou encore l’éducation.
Enfin, le septième pilier met l’accent sur la coopération et le rayonnement régional, à travers la création d’un réseau IA pour l’Afrique centrale, le renforcement des partenariats internationaux et l’exportation de solutions numériques « Made in Cameroon ».
Un positionnement à améliorer selon le FMI
Selon l’AI Preparedness Index 2024 publié par le Fonds monétaire international (FMI), le Cameroun obtient un score de 0,34 sur 1, le plaçant dans la moitié inférieure du classement mondial. Le pays reste en retrait sur les infrastructures numériques et l’innovation, mais dispose d’un potentiel intéressant en matière de capital humain. La stratégie nationale entend justement combler ces lacunes en accélérant la mise à niveau réglementaire et en favorisant l’adoption de l’IA dans les services publics.
Avec cette feuille de route, le Cameroun espère s’ancrer dans la dynamique continentale de transformation numérique et tirer pleinement parti des technologies émergentes pour soutenir son développement socio-économique.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Déterminé à faire du numérique un levier de développement et de souveraineté technologique, le Maroc multiplie les initiatives pour former ses talents. La création d’une école d’ingénieurs dédiée à la transition numérique et à l’intelligence artificielle s’inscrit dans cette ambition.
La ministre de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, Amal El Fallah Seghrouchni (photo, à gauche), a signé le vendredi 4 juillet une convention de partenariat avec le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, Azzedine El Midaoui (photo, à droite), et André Azoulay (photo, au centre), président de la Fondation de recherche, de développement et d’innovation en sciences et ingénierie (FRDISI). Cet accord tripartite porte sur la création de l’École supérieure d’ingénieurs en transition numérique et intelligence artificielle, ainsi que sur le lancement de formations spécialisées dans ces domaines.
Selon le communiqué du ministère chargé du numérique, l’initiative vise à rapprocher l’offre de formation des réalités du terrain, en alignant les parcours académiques sur les besoins des territoires et du tissu économique, ainsi que sur les priorités du développement technologique national.
Le projet s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale « Digital Morocco 2030 » qui vise à former 100 000 jeunes par an d’ici 2030 et à créer 240 000 emplois dans le numérique. Elle fait également suite aux Assises nationales de l’IA tenues la semaine dernière à Salé, où neuf accords ont été signés avec des acteurs publics et privés. Ces Assises ont souligné la nécessité de former les forces vives et d’élaborer une feuille de route nationale pour un usage éthique et responsable de l’IA.
Avec cette école, le Maroc entend former des ingénieurs capables de concevoir et de déployer des solutions numériques innovantes, que ce soit dans les services publics, la santé, l’industrie ou l’éducation. L’objectif est double : répondre aux défis internes tout en préparant les jeunes aux métiers de demain.
Au-delà de la formation, le projet ambitionne aussi de renforcer la souveraineté numérique du pays, de stimuler l’innovation et de positionner le Maroc comme un pôle d’attractivité pour les start-up technologiques et les centres de Recherche et Développement (R&D) régionaux.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Face aux mutations technologiques mondiales, le Maroc fait le pari de l’intelligence artificielle pour moderniser ses services, stimuler son économie et renforcer sa position comme hub numérique régional.
Le Maroc a clôturé, le jeudi 3 juillet, les premières Assises nationales de l’intelligence artificielle, organisées à Rabat sous la présidence de la ministre de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, Amal El Fallah Seghrouchni (photo, à droite). À cette occasion, neuf protocoles d’accord ont été signés avec des partenaires nationaux et internationaux, affirmant la volonté du royaume de faire de l’intelligence artificielle un levier de développement, de souveraineté numérique et d’inclusion.
✍️ Le #PNUD et le @Ministere_TNRA ont signé un accord pour promouvoir une transformation numérique inclusive, éthique et centrée sur l’humain en Afrique et dans les États arabes. Une autre étape pour favoriser la réalisation des #ODD grâce à l’innovation. 🌍🤝
— PNUD Maroc (@PNUDMaroc) July 3, 2025
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Parmi les principaux accords figurent notamment des partenariats avec plusieurs ministères marocains : celui de l’Éducation nationale, pour intégrer le numérique dans les programmes scolaires ; celui de l’Inclusion économique, en vue d'exploiter le potentiel de l’IA pour stimuler l’emploi ; et celui de la Transition énergétique, pour promouvoir le déploiement de centres de données durables. Un autre protocole a été conclu avec l’Université Mohammed VI Polytechnique afin de renforcer la souveraineté numérique et former des compétences nationales.
D’autres partenariats ont été signés avec le Crédit Agricole du Maroc, pour favoriser l’inclusion numérique en milieu rural ; avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), pour promouvoir une numérisation inclusive en Afrique et dans le monde arabe ; avec l’Organisation de la Coopération Numérique (DCO), pour développer des infrastructures numériques durables ; ainsi qu’avec l’initiative internationale « Current AI » pour défendre une intelligence artificielle éthique, inclusive et sécurisée. Un centre d’excellence baptisé Al Jazari Institute verra également le jour à Nador, avec pour mission de former, innover et intégrer l’IA dans les secteurs stratégiques de l’économie marocaine.
Ces engagements s’inscrivent dans la stratégie nationale « Digital Morocco 2030 », lancée en septembre 2024, qui vise à transformer le pays en hub numérique régional. Cette feuille de route ambitieuse prévoit la création de 240 000 emplois directs dans le secteur du numérique à l’horizon 2030, la généralisation des services publics dématérialisés et la structuration d’une économie digitale robuste. L’intelligence artificielle y est identifiée comme un pilier stratégique, intervenant dans de nombreux domaines : éducation, inclusion, santé, agriculture, énergie ou encore administration.
À travers ces accords, le Maroc ambitionne une montée en compétences de ses ressources humaines, une dynamisation de son tissu économique, notamment des TPE, PME et start-up, ainsi qu’une amélioration de la qualité des services publics par l’adoption des technologies d’IA. La priorité est donnée à la formation, à la recherche appliquée, au développement de contenus pédagogiques numériques et à la création de plateformes d’analyse du marché de l’emploi. Une attention particulière est également accordée à l’égalité des chances, à l’inclusion des zones rurales, ainsi qu’à la durabilité environnementale des infrastructures numériques.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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Les autorités mauritaniennes souhaitent intégrer les technologies de l'information et de la communication afin d'améliorer le système éducatif national. Une stratégie de transformation numérique du secteur est actuellement en cours d'élaboration.
Le gouvernement mauritanien a lancé le mardi 1er juillet un service numérique dédié aux parents d’élèves. Il s’agit d’une nouvelle étape de franchie dans le cadre de la transformation numérique du secteur éducatif national.
Dénommé « Siraj », le service est disponible sur le portail gouvernemental de services numériques « Khidmati ». Couvrant environ 1,2 million d’élèves, Siraj permet aux parents de consulter la liste des manuels scolaires requis pour leur enfant, de suivre la présence ou les absences enregistrées, de consulter les moyennes annuelles de l’élève à chaque étape de sa scolarité, de soumettre une demande de transfert vers un autre établissement et de localiser l’école sur une carte géographique interactive.
En début d’année, les acteurs du secteur éducatif ont lancé l’élaboration d’une feuille de route pour la transformation numérique du système éducatif national. Parallèlement, les autorités travaillent sur un dispositif innovant de numérisation des diplômes, afin de moderniser leur délivrance et d’en renforcer l’authenticité. Elles envisagent également de mettre en place une plateforme numérique dédiée à la formation continue des enseignants du cycle fondamental, équivalent du primaire. En octobre 2024, la Mauritanie avait déjà annoncé l’introduction des manuels scolaires numériques.
Selon les autorités, le service Siraj vise à impliquer activement les parents dans le suivi du parcours scolaire de leurs enfants, afin de renforcer le rôle de la famille dans l’amélioration des performances scolaires. Cette ambition est confirmée par l’UNESCO dans son rapport « Edtech And Parental Engagement » publié en 2023. L’organisation onusienne estime qu’il y a un fort potentiel pour que les technologies éducatives soient progressivement utilisées afin d’aider les parents à s’impliquer dans l’apprentissage de leurs enfants. Le rapport explique que cela est associé à la fois à une meilleure préparation à l’école et à de meilleurs résultats académiques.
Toutefois, une étude de l’UNESCO montre que plusieurs défis sont apparus lors de la planification et de la mise en œuvre des interventions technologiques visant à impliquer les parents au Kenya. Il s’agit notamment du manque d’implication, du manque de compétences numériques chez les parents et de l’insuffisance des infrastructures numériques. Par exemple, il faudra que les parents d’élèves disposent d’appareils pouvant accéder à Internet (smartphones, tablettes, ordinateurs…) et qu’ils puissent acheter les forfaits pour se connecter, à condition qu’ils résident dans une zone couverte par le réseau. L’Union internationale des télécommunications (UIT) estime le taux de pénétration de l’Internet en Mauritanie à 37,4 % en 2023.
Isaac K. Kassouwi
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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L’intégration des technologies numériques dans les systèmes éducatifs africains est souvent présentée comme une solution miracle pour remédier aux fragilités structurelles du secteur. La CEDEAO veut en faire un levier stratégique au service de sa jeunesse.
Réunis à Dakar depuis le 30 juin, les députés du Parlement de la CEDEAO participent à une session conjointe de la Commission mixte Éducation, Science et Culture / Santé / Télécommunications et Technologie de l’information, autour du thème « Prioriser les technologies de l’éducation et l’innovation dans l’espace CEDEAO ». L’objectif est d’accélérer l’intégration du numérique dans les systèmes éducatifs ouest-africains, afin de répondre aux défis d’une jeunesse majoritaire et de préparer les compétences du 21ᵉ siècle.
Au cœur des échanges, une proposition majeure a été mise en avant : la création d’un Pacte ouest-africain pour une intelligence artificielle éducative, éthique et souveraine. Inspirée des lignes directrices de l’Union africaine, cette initiative vise à garantir une utilisation responsable de l’IA dans l’éducation, à promouvoir des contenus numériques multilingues et inclusifs, et à renforcer la formation des enseignants par le biais d’un réseau régional de laboratoires EdTech.
Par ailleurs, pour dynamiser la numérisation de l’éducation dans l’ensemble de la région, les députés ont insisté sur la nécessité d’améliorer l’accès à l’électricité et à Internet dans les établissements scolaires, de recenser les plateformes numériques existantes, d’encourager l’innovation locale au sein des écoles et universités, ainsi que de renforcer la coopération régionale afin de faciliter un partage efficace des ressources numériques.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre plus large de la Stratégie numérique 2024–2029 de la CEDEAO, adoptée en octobre 2024, qui fait des TIC et de l’éducation numérique des leviers centraux de croissance, d’inclusion et de souveraineté régionales. Elle est également portée par le projet régional WARDIP (West Africa Regional Digital Integration Project), financé à hauteur de 10,5 millions de dollars par la Banque mondiale, qui ambitionne d’améliorer la connectivité, de favoriser un marché numérique intégré et de soutenir le développement des services publics en ligne.
Sur le terrain, plusieurs pays membres, notamment le Sénégal et le Nigeria, ont déjà lancé des plateformes d’apprentissage en ligne et distribué des tablettes dans les zones rurales, conformément aux recommandations de l’Union africaine pour une éducation numérique inclusive. La CEDEAO entend désormais élargir ces efforts à l’échelle régionale, à travers des programmes transnationaux d’e-apprentissage et la mise en place d’un fonds dédié à la réduction de la fracture numérique éducative.
Avec environ 63 % de sa population âgée de moins de 25 ans, selon des données régionales de 2019, l’espace CEDEAO est confronté à un impératif démographique qui renforce la nécessité de développer dès aujourd’hui les compétences numériques adaptées au marché du travail de demain. L’Union africaine, dans sa Stratégie de l’éducation numérique publiée en 2023, estime que 60 millions de dollars seront nécessaires sur les cinq prochaines années pour financer des programmes structurants d’éducation numérique à l’échelle régionale.
Ces investissements doivent non seulement améliorer l’employabilité des jeunes et stimuler l’innovation EdTech, mais aussi contribuer à réduire les inégalités, favoriser la mobilité académique et renforcer la souveraineté technologique de l’espace CEDEAO.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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La CEDEAO s'engage pour gouvernance numérique efficace en Afrique de l’Ouest
Depuis l’adoption de sa stratégie numérique, le Sénégal multiplie les partenariats visant à accélérer sa transformation numérique. L’engagement récent de Visa illustre la volonté du pays de renforcer son écosystème financier et d’innover pour une inclusion numérique.
Le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, Alioune Sall, a reçu en audience le mercredi 2 juillet une délégation de la société Visa, conduite par Ismahill Diaby, vice-président et directeur général pour l’Afrique de l’Ouest, centrale francophone et lusophone. Cette rencontre marque une étape supplémentaire dans les relations entre le Sénégal et la société mondiale des technologies de paiement.
𝐑𝐞𝐧𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐬𝐭𝐫𝐚𝐭𝐞́𝐠𝐢𝐪𝐮𝐞 𝐞𝐧𝐭𝐫𝐞 𝐥𝐞 𝐌𝐢𝐧𝐢𝐬𝐭𝐫𝐞 𝐝𝐮 𝐍𝐮𝐦𝐞́𝐫𝐢𝐪𝐮𝐞, 𝐀𝐥𝐢𝐨𝐮𝐧𝐞 𝐒𝐚𝐥𝐥, 𝐞𝐭 𝐥𝐚 𝐝𝐞́𝐥𝐞́𝐠𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐕𝐈𝐒𝐀 𝐝𝐢𝐫𝐢𝐠𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐬𝐨𝐧 𝐕𝐢𝐜𝐞-𝐏𝐫𝐞́𝐬𝐢𝐝𝐞𝐧𝐭 𝐞𝐭 𝐃𝐢𝐫𝐞𝐜𝐭𝐞𝐮𝐫 𝐆𝐞́𝐧𝐞́𝐫𝐚𝐥… pic.twitter.com/gY2JfaMtPT
— Ministère Communication - Télécoms et Numérique (@mctngouvsn) July 2, 2025
Au cœur des échanges figuraient les opportunités de renforcement de l’infrastructure de paiement numérique au Sénégal, le soutien à la digitalisation des services publics, ainsi que l’élargissement de l’accès aux solutions de paiement modernes comme le sans contact ou les paiements mobiles. Les deux parties ont convenu de la création d’un groupe de travail conjoint chargé d’identifier des projets prioritaires et de lancer des initiatives pilotes à fort impact économique et social.
Cette collaboration s’inscrit dans le cadre du New Deal Technologique, une stratégie numérique ambitieuse lancée par le gouvernement sénégalais en février dernier, avec pour objectif de faire du pays un pôle d’innovation numérique en Afrique.
Présente au Sénégal depuis 2001, Visa travaille déjà avec les banques, les opérateurs télécoms, les fintechs et les autorités pour moderniser les systèmes de paiement et promouvoir l’inclusion financière. L’entreprise ambitionne aujourd’hui d’accélérer cette dynamique, en soutenant notamment la numérisation des paiements publics et en collaborant avec des start-up locales pour concevoir des solutions adaptées au marché sénégalais.
À travers ce partenariat, le Sénégal entend tirer parti de l’expertise technologique de Visa pour accroître ses recettes publiques, réduire l’informalité, stimuler l’économie numérique et renforcer sa souveraineté financière. Autant d’objectifs qui rejoignent les axes stratégiques du New Deal Technologique, notamment en matière de transformation numérique de l’administration, de développement de l’économie numérique locale et de modernisation des infrastructures de paiement.
Samira Njoya
Edité par Sèna D. B. de Sodji
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